Six arpents* de friches très convoités

Le  16 septembre 1868 le sous-préfet de Seine & Oise notifie un arrêté préfectoral du 28 juillet de la même année interdisant à la commune d’Epinay-sous-Sénart d’ester en justice contre l’Etat qu’elle accuse de s’être accaparé 6 arpents de terres communales pour les annexer à la Forêt de Sénart. C’est la conclusion de 45 ans de démarches d’Epinay-sous-Sénart pour reprendre une partie de son territoire.

 

L’affaire commence en 1821, lorsque les gardes forestiers établissent des fossés d’écoulement sur un terrain en friche qui jouxte la forêt, au bois du Pas Ste Geneviève (ancien bois des Cornouailles). Mais cette friche est un terrain communal mal définit bordant le chemin vert** qui vient y finir sa course. De tous temps les habitants du village sont venus y faire paitre leurs bêtes et certains ont même cultivé des parcelles sur ce terrain. L’autorité municipale ne s’étant pas manifestée, au bout de 6 mois les gardes forestiers plantèrent des ormes sur le bord des fossés. La municipalité restant toujours sans réaction, en 1823 le terrain fut, toujours par les soins de l’administration royale (nous sommes à la fin du règne de Louis XVIII que les spinoliens ont bien connu lorsqu’il était comte de Provence) planté d’arbres de différentes espèces. Devant cette annexion, le Maire se manifesta alors. Peu présent sur la commune, pas très au fait des affaires juridiques, il était en outre confronté à une triste réalité : la commune ne possédait pas d’acte de propriété. En effet, lors de la Révolution la plupart des documents municipaux, à l’exception des registres paroissiaux, avaient été détruits. Pire, la commune tenait ces terres des religieux de l’abbaye Ste Geneviève au Mont Paris mais pour les mêmes raisons, aucune trace de cette cession ne se trouvait plus chez les religieux.

 

Cependant les années passant, plusieurs maires ou conseiller municipaux se penchèrent sur le sujet et en 1849 le ton change. Nous sommes 1 an après la révolution de 1848. La royauté n’existe plus et cela s’entend dans le discours que le Maire, Pierre-Antoine Deville adresse au Conseil municipal pour demander l’autorisation d’aller en justice. Il a compilé toutes les informations sur le sujet, convoqué les plus anciens habitants du village pour qu’ils confirment l’usage communal des friches depuis fort longtemps (le plus ancien, Bernard Tamponnet père annonce 90 ans). En février 1851, deux années se sont écoulées sans que l’administration réponde à cette réclamation, le Conseil charge le Maire d’entamer les démarches auprès de qui de droit. Mais le coup d’Etat du 2 décembre 1851 entraine un changement de Maire. En effet, depuis la révolution de 1848, le Maire était nommé par les conseillers municipaux. Après décembre 1851, il est à nouveau nommé par le Préfet. Pierre-Antoine Deville est remplacé par Jean-Baptiste Denis qui l’avait précédé comme premier magistrat. Jean-Baptiste Denis et ses successeurs, n’ont aucun intérêt à attaquer l’Etat puis l’Empire. Cependant un arrêté du Conseil de Préfecture rejette cette demande le 12 mai 1854 au motif que la commune aurait plus à perdre qu’à gagner dans ce combat judiciaire.

 

En 1865, un nouveau maire est nommé, il s’agit d’Auguste Guyard. Il reprend à son compte les revendications de la délibération de 1849 et adresse une nouvelle demande d’autorisation d’aller en justice pour reprendre le bien communal spolié. Aucun brouillon de ce courrier n’a été conservé aux archives municipales et la date nous reste inconnue. Cependant son ton était suffisamment vif pour que le sous-préfet y fasse allusion dans son courrier du 16 septembre 1868. Il y notifie un arrêté pris par le conseil de préfecture le 28 juillet de la même année. Le Conseil estime qu’il y a prescription et réitère que la municipalité, dans le cas où elle obtiendrait raison, devrait rembourser l’intégralité des travaux effectués sur la parcelle depuis 1823. Cette réponse ne fit pas l’objet d’autre démarche de la part des municipalités successives.

 

En 1900, dans sa monographie communale, Gabriel Teton mentionne un texte de l’abbé Leboeuf stipulant qu’en 1228, Jean du Donjon, seigneur de Yerres, fait une déclaration touchant au bois des Cornouailles à Epinay dont il dit qu’il le tient de l’abbaye et du couvent Ste Geneviève

 

Le chemin vert fut utilisé par les habitants d’Epinay et de Brunoy jusqu’au début de la première guerre mondiale puis délaissé. En 1951, constatant qu’il n’avait de chemin que le nom tellement il était envahi de bois et de broussailles depuis au moins 30 ans, la municipalité demanda son déclassement puis le céda par parcelles d’abord à EDF en 1953 puis fit un échange avec la CIRP en 1964 à l’occasion de l’extension du cimetière.

 

* (1 arpent = 3418,74 m²)

 

** Le chemin vert allait de Brunoy (quartier des Beaucerons) et aboutissait à la rue de Quincy à travers la forêt de Sénart. Les friches se trouvaient vers la salle polyvalente.